Dire que le yoga est en vogue serait un euphémisme. Des millions de personnes pratiquent le yoga à travers le monde et de nombreuses célébrités en vantent les mérites. Bikram ou méditation, tantra ou ashtanga… le yoga a aujourd’hui autant de facettes que de débouchés commerciaux, les écoles traditionnelles côtoient les studios tendance, le yoga a ses salons, ses événements, ses marques, ses modes. Mais se réclame toujours d’une tradition millénaire indienne.
Comment une discipline initialement confidentielle, réservée aux érudits, a-t-elle conquis le monde ? Les asanas (postures) étaient-ils réellement pratiqués dans les temps anciens ? Le réalisateur allemand Jan Schmidt-Garre a tenté de répondre à ces questions et nous emmène dans son voyage, à la fois géographique et spirituel, sur les traces du yoga moderne. Il s’est particulièrement attaché au rôle joué par Krishnamacharya dans la diffusion occidentale du yoga, rencontrant ses disciples et sa famille, et propose dans ce long-métrage de captivantes images d’archive, des interviews de grands maîtres (B.K.S. Iyengar, Pattabhi Jois) et quelques reconstitutions tout à fait honorables.

Autant le dire tout de suite, le film risque de ne pas passionner les non-initiés. Même si le réalisateur (pratiquant mais loin d’être un athlète) fait l’effort louable de se filmer lui-même lors de cours, permettant à tous ceux qui ne peuvent s’asseoir en lotus de s’identifier quelque peu, l’ensemble du propos reste destiné aux yogis et yoginis déjà familiarisés avec les différents aspects et branches du yoga.
Ceci posé, et partant du principe que si vous lisez ces lignes c’est que le sujet vous intéresse un minimum, je vous le dis : le film est excellent, et je vous invite à aller le voir !
Les images d’archive, en premier lieu, sont précieuses. Voir Krishnamacharya pratiquer dans les années 20 ou 30 a quelque chose de fascinant et de très émouvant : le simhasana ou le sirsana du guru sont les mêmes que les nôtres, ou en tout cas les mêmes que ceux vers lesquels nous tendons. C’est aussi très mignon de voir ses enfants pratiquer, notamment ses filles, y compris lors de séances qui ressemblent fortement à de l’acro-yoga… Et je dois dire que les images de sa femme en upavista konasana sont extrêmement réjouissante et m’ont fait aimer Krishnamacharya pour son absence de sexisme. Quand on connait la société indienne et la façon dont les femmes y sont souvent traitées, on doit reconnaitre quelque chose de visionnaire chez ce maître.

Le travail de recherche, ensuite, est intéressant. Schmidt-Garre est allé à la rencontre de 4 des 6 enfants de Krishnamacharya : son fils Sribhashyam et ses trois filles Pundarikavalli, Alamelu et Shubha. Ses disciples Patabhi Jois (décédé durant le tournage) et B.K.S Iyengar, aujourd’hui deux maîtres incontournables du yoga, sont également très présents. Ces différentes voix dressent un portrait riche et contrasté. Guide sévère mais protecteur ou maître intraitable ? Dépositaire d’un savoir millénaire ou créateur d’une nouvelle discipline inspirée des arts martiaux ?

Car Krishnamacharya, jeune érudit issu de la caste des brahmanes, spécialiste de la philosophie indienne, revenant de 7 ans passés à apprendre le yoga auprès de Ram Mohana Brahmachari au fin fond de l’Himalaya tibétain, semble bien avoir créé un « sport » spécialement pour le roi de Mysore. Un ensemble d’exercices toniques qui lui permettrait de rester agile, dans des années où l’Inde s’approchait de l’indépendance et faisait face à des perturbations majeures. C’est de là que vient le concept de vinyasa, d’enchainement de postures à un rythme soutenu. Il est d’ailleurs intéressant de voir le cheminement de Krishnamacharya sur ce point à travers les années. Professeur dans la yogashala créée par le roi, promoteur d’une discipline alors mal vue (les asanas, la partie physique du yoga, étant considérée alors comme réservée aux charlatans), diffuseur d’un yoga très physique, il est arrivé avec les décennies à un yoga recentré sur la respiration et les postures, un yoga thérapeutique, se rapprochant finalement du yoga développé par son disciple/dissident B.K.S Iyengar. Alors que Patabhi Jois de son côté diffusait ce qu’on appelle aujourd’hui Ashtanga yoga…

Mais alors, peut-on comparer le yoga traditionnel indien, celui qui était transmis de maître à élève durant de longues années, celui dont la fonction première est d’amener le corps et le mental à la méditation, à l’extinction des sens, à l’extinction tout court… au yoga tel qu’il est aujourd’hui pratiqué en occident ?
Quand Jois évoque le Yoga Korunta, texte sacré décrivant des milliers de postures, retrouvé par Krishnamacharya et dont le seul exemplaire écrit sur des feuilles de palmier aurait été mangé par les fourmis… On s’approche plus du mythe que du fait historique. Reste que le yoga est évoqué dans de nombreux textes anciens, du Ramayana à la Baghavad Gita, sans oublier les Yoga Sutras, qui sans avoir 5000 ans datent tout de même (environ) du deuxième siècle avant J.C. Les asanas existaient avant Krishnamacharya, ils s’inscrivaient dans un tableau plus vaste, n’étant qu’un aspect du yoga.
Au final, le réalisateur (et nous avec) ne trouve pas vraiment de réponse à sa quête. On peut aussi déplorer que le film n’explore que l’influence de Krishnamacharya, délaissant d’autres maîtres comme Sivananda (contemporain et lui aussi diffuseur du yoga en occident). Mais après tout, c’est UN voyage vers les sources du yoga… La seule certitude, c’est que le yoga est bien plus qu’un sport. Comme le rappelle Shubha, le yoga nécessite « l’alliance de la respiration, du mouvement et de la concentration », sans cela, comme le conclut Schmidt-Garre, « le plus vieil asana du monde ne sera qu’un exercice de gymnastique ».

Il parait qu’à l’issue de ses 7 années d’apprentissage dans l’Himalaya, le maitre de Krishnamacharya lui a demandé, en paiement de son enseignement, de diffuser le yoga dans le monde. Je me dis que pour y arriver, pour pousser les occidentaux à s’intéresser à une philosophie orientale, il fallait être malin et ruser. Peut-être que le plan est en cours d’exécution. Peut-être que via le vinyasa flow, les studios à 40° du bikram, ou tout autre école qui apparaitra certainement encore, c’est le yoga dans son ensemble qui diffuse. Et si pour arriver à une humanité sensibilisée aux devoirs moraux, à la discipline et à la concentration, il faut l’inviter à poser son nez sur ses genoux (ou ses orteils derrière sa tête) c’est finalement tout bénef’… Non ?
Le souffle des dieux- un voyage vers les origines du yoga moderne
Film documentaire de Jan Schmidt-Garre, 2014, VO sous-titré français, 101 mn
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