Janvier 2018, nous sommes à Bicètre en neuropédiatrie. On nous a installés dans un bocal vitré, celui avec le chauffage un peu trop chaud et le lavabo qui fuit. Mais ça n’a pas d’importance, car nous ne sommes là que pour la journée.
HDJ pour la Mini.
La prise de sang est terminée, nous avons réussi à chiper deux fauteuils, la poulette s’est endormie dans le petit lit à barreaux violet. Donc nous attendons, le Chéri et moi. C’est une activité très prenante, à l’hôpital, d’attendre. En l’occurence, entre deux cafés et un magazine (Netflix ne fonctionne pas, nous sommes trop loin d’une fenêtre pour avoir du réseau), nous attendons essentiellement de savoir quand aura lieu l’IRM, à quelle heure nous verrons la kiné, et le chirurgien. La mission principale du jour, c’est le changement du bouton de gastrostomie de la Mini. En principe ce changement se fait tous les 6 mois. Nous en sommes à 7. C’est ça aussi l’hôpital, parfois, une certaines dichotomie entre le principe (on vous convoquera automatiquement à la date adéquate); et la réalité (si vous n’avez pas de nouvelles mieux vaut vous manifester). J’en ai déduit que l’attitude idoine est « faire confiance mais appeler souvent pour vérifier ». Et force est de constater que même en appelant souvent, ils peuvent dépasser les délais qu’ils ont eux-mêmes fixés.
Bref, le changement de bouton c’est aujourd’hui, et c’est une bonne nouvelle puisque le bouton de la Mini fuit. Je l’aurais bien changé moi-même, mais ils ont insisté : le premier changement se fait avec le chirurgien, pour vérifier que tout va bien. Alors soit. Nous avons attendu, patiemment, avec confiance (mais en téléphonant souvent)(et en râlant un peu aussi).
Quand la médecin du service vient faire sa visite, je lui pose la question : « aujourd’hui c’est le chirurgien qui change le bouton, mais les prochaines fois on pourra le faire nous-même à la maison ? ». Elle est un peu interloquée, la médecin. Je ne sais plus trop ce qu’elle me répond, quelque-chose comme « mais pourquoi le faire vous-même » ou « ce n’est pas à vous de faire ça ». En revanche je me souviens très bien de la fin de son argumentaire : « vous êtes la maman, pas l’infirmière ».
La maman, pas l’infirmière. Ça me laisse perplexe. Spontanément, plein de choses me viennent à l’esprit. Le fait qu’une maman, ou un papa, est toujours forcément un peu infirmier(ère), déjà. Tout parent d’enfant en bas âge le reconnaitra : on change des couches, on panse des bobos, on essuie le vomi, on prend la température, on administre des médicaments, on surveille, soigne, soulage, lave. Le rôle de parent inclut, de facto, des missions infirmières, au même titre que des missions de cuisiner, d’éducateur, de moniteur sportif… Quand je prépare à manger pour la famille, personne ne me dit « ce n’est pas à vous de faire ça, vous êtes la maman, pas la cuisinière » (pourtant, je kifferais). Quand j’ai emmené les garçons à la piscine pour la première fois, je ne me suis pas dit « trouvons donc un professionnel qualifié, car je suis la maman, pas la maitre nageuse ».
Accompagner un enfant, c’est revêtir un paquet de casquettes, avec plus ou moins de talent, plus ou moins de compétences, mais en faisant de son mieux. Le but, c’est leur bien-être et leur épanouissement. Et au final, si on n’enfile pas toutes ces casquettes, c’est quoi au juste, d’être parent ?
Alors oui, pour la Mini, les casquettes sont un peu différentes. Nous avons dû acquérir de nouvelles compétences, un peu de kiné, un peu de psychomot, un peu d’orthophonie, un peu d’orthopédie, des gestes techniques, et puis aussi beaucoup d’organisation, de planification. Je suis infirmière et secrétaire, un peu plus pour elle que pour ses frères. Et alors ? Si j’ai envie de le faire.
Ce qui me gêne finalement dans ce « vous êtes la maman, pas l’infirmière », ce n’est pas tant le principe. Je comprends l’idée, et je respecte le fait que certains parents ne veuillent pas, ne puissent pas, assurer des gestes comme changer un bouton de gastrostomie. Et c’est bien que le corps médical apporte une solution à ces parents, les déculpabilise. Ce qui me hérisse, c’est d’asséner ça comme une vérité. De m’assigner une fonction sans se préoccuper de ce que je souhaite.
Je n’aime déjà pas tellement qu’on me dise ce que je dois faire. Mais décider de ce que je suis… Comme si le fait que je sois volontaire pour changer ce bouton était anormal. Comme si je ne savais pas rester à ma place. Comme si j’étais moins une maman en voulant faire ce geste. Je n’admets pas qu’on décide pour moi ce qu’être une maman signifie.
Pour moi, être la maman de la Mini, c’est -entre autres- lui éviter au maximum les journées à l’hôpital. C’est lui épargner les allers-retours superflus en taxi, les attentes interminables, les rendez-vous dispensables. Elle doit déjà subir suffisamment de soins, d’examens, d’intervention… donc tout ce que nous pouvons faire tranquillement, à la maison, représente quelques heures de tranquillité gagnées.
Quand la Mini a eu la sonde nasogastrique, à l’été 2016, les infirmières de l’hôpital nous ont montré comment la placer, la remplacer, manipuler la pompe. Personne ne nous a dit « vous êtes les parents, pas les infirmiers ». On nous a expliqué que si nous n’étions pas à l’aise, une infirmière pourrait venir à domicile, tout en nous donnant les clés pour assurer nous-mêmes.
On nous avait donné le choix, et c’est ça le plus important. Nous offrir des options, pour que nous choisissions ce que nous sommes aptes à inclure dans notre rôle de parent. Notre enfant est malade, c’est un fait. Elle a des besoins différents de ses frères. Nous nous adaptons et continuerons à nous adapter tant que nous en serons capables.
Dire « vous êtes la maman, pas l’infirmière », c’est balayer le choix. Je comprends que certains parents puissent trouver cette charge lourde, insurmontable peut-être. Mais d’autres peuvent et veulent l’assumer. Pourquoi essayer de les dissuader ? Il serait plus constructif de poser tout simplement la question : « Voulez-vous? Pouvez-vous ? ». Et de décider en conséquence, ensemble.
Je suis une maman avec beaucoup de casquettes, et ça me convient. Je demande simplement qu’on respecte mon choix.